Comprenons-nous bien



Pourquoi avoir fait ce film?

Je voulais montrer les enjeux du pouvoir dans le monde professionnel. Lorsque l’on parle des luttes de pouvoir en entreprise, on a l’impression qu’il s’agit seulement d’une lutte entre hommes et femmes. J’ai eu beaucoup de témoignages de femmes cadres qui m’ont avoué avoir des difficultés avec les autres femmes de l’entreprise. Clairement, je constate que la compétition entre les hommes ne suit pas les mêmes règles que la compétition entre les femmes. Il semblerait que les femmes acceptent plus difficilement qu’une autre femme prenne le pouvoir, surtout si elle est issue du même niveau hiérarchique qu’elle. Pour illustrer ce propos, j’ai pris un exemple où le poste de direction était partagé entre un homme et une femme pour mettre en évidence le comportement différencié que peuvent avoir un groupe de femmes vis-à-vis de l’autorité.

Constats

Tuyau percé

À la sortie des hautes écoles, 50% des diplômés sont des femmes. Environ 25% d’entre-elles arrêteront de travailler à l’arrivée de leur premier enfant. Ces jeunes mères reviendront sur le marché du travail après une pause de 7 à 10 ans. Elles font partie des 18’000 femmes qui réintègrent le marché du travail chaque année. Si elles reviennent sur le marché du travail, elles ont des difficultés à retrouver des postes pour lesquelles elles ont été formées. Sur les 100 CEO - PME Magazine, janvier 2015 - qui faisaient la Suisse en 2015 , cinq étaient des femmes. Il y a donc une perte d’environ 60% du potentiel de travail des femmes dans les hauts niveaux hiérarchiques de l’entreprise. C’est ce qui s’appelle un tuyau percé.

Maternité

La perte du potentiel de travail des femmes est en partie causée par le plafond de verre. Selon l’Office fédéral de la statistique, seules 3,9% des fonctions dirigeantes étaient occupées par des femmes en 2010. Ce pourcentage s’élevait à 15,6% pour les postes de cadre - selon le rapport «Vers l’égalité entre femmes et hommes» publié en 2013 par l’Office fédéral de la statistique - . Au niveau des conseils d’administration, la part des femmes est d’environ 12 %. Autre indication intéressante: en l’an 2000, 40% des femmes occupants des positions supérieures n’avaient pas d’enfants. On pourrait en déduire que ce sont surtout les femmes qui doivent renoncer aux postes à pouvoir au moment de créer une famille. Par ailleurs, comme les femmes qui parviennent au sommet de la hiérarchie le font au détriment de leur vie de famille, le pouvoir féminin est souvent synonyme de solitude.

Quotas

Pour briser ce plafond de verre, les gouvernements se tournent de plus en plus vers le système des quotas. Au printemps 2015, Bâle-Ville a été le premier canton suisse à introduire des quotas féminins d’au moins 30% dans les conseils d’administration des entreprises dont il est propriétaire. Les villes de Berne et Schaffhouse ont des législations similaires. Cette voie est pourtant controversée. Cette solution est tentante car elle relativement simple à édicter. Les quotas sont en revanche peu compatibles avec une société qui récompense le mérite plutôt que l’appartenance sociale. De plus, ils posent aussi un problème pratique en termes de recrutement. Si une loi obligeait les entreprises à recruter 30% de femmes dans les fonctions d’encadrement, ces profils seraient à ce jour encore introuvables sur le marché du travail.

Parois

On constate un autre phénomène qui semble jouer en défaveur des carrières des femmes. Dans les hautes écoles, les filières académiques classiques: finance, gestion d’entreprise et ingénierie sont majoritairement occupées par des hommes. Les femmes choisissent souvent des branches qui mènent vers des fonctions support: administration, RH, marketing ou communication. Considérés comme étant non-stratégiques, ces métiers permettent plus difficilement d’assumer des responsabilités opérationnelles. En plus du plafond de verre, il existe donc aussi des parois de verre dans les organisations. Ces barrières latérales sont ces fonctions support, appréciées par les femmes, mais qui vont souvent les empêcher de gravir la hiérarchie.

Opposantes

Les premières opposantes aux femmes de pouvoir sont souvent les autres femmes de l’organisation. Dans le film de ce chapitre, l’assistante de direction feint d’ignorer les demandes de sa supérieure car elle estime qu’elle a uniquement des comptes à rendre à son chef. Dans l’inconscient féminin, la signature masculine est plus crédible que celle d’une femme. Paradoxalement, un homme attachera plus de crédit à une femme cadre si il est convaincu par ses compétences et son expérience.

Causes

Postures

Avant même qu’ils entrent dans l’adolescence, les garçons sont confrontés à la hiérarchie et aux jeux de pouvoir dans la cour de récréation. Des études ont par exemple démontré que les jeux des garçons impliquent souvent des relations hiérarchiques, avec la désignation d’un chef. Une fois le jeu terminé, ces rôles disparaissent. Les garçons seraient ainsi capables de passer d’un rôle à l’autre sans difficulté. Les filles en revanche désignent rarement de cheffe dans leurs habitudes de jeux. Les jeux typiquement féminins utilisent plutôt le consensus et placent tout le monde au même niveau. Elles ont donc moins l’habitude de l’autorité et si un conflit surgit, elles restent sur leurs positions. Il semblerait que ces postures différentes chez les garçons et les filles ont une influence sur les relations professionnelles.

Représentations

Le pouvoir provoque souvent un malaise chez les femmes. Elles l’associent aux managers tyranniques prêts à tout pour arriver à leurs fins. Le pouvoir, à leurs yeux, évoque la hiérarchie et la force, la domination et le contrôle, toutes des postures qui impliquent de l’orgueil et un égo surdimensionné. Quand on demande aux femmes d’associer des couleurs à la notion de pouvoir, elles voient du noir et du rouge. Ces couleurs symbolisent la force et la puissance, mais dans un sens agressif et diabolique. Dark Vador plutôt que Jésus Christ. De nombreuses femmes hésitent à postuler à des postes à pouvoir à cause de ces représentations négatives.

Recalibrage

Selon le dictionnaire Petit Robert, le pouvoir est le «fait de disposer de moyens naturels ou occasionnels qui permettent une action». Cette définition renvoie à une forme d’ascendant et d’emprise sur une situation ou sur une personne. Ce pouvoir-là implique aussi une responsabilité, parfois très lourde à porter. Dans son dernier ouvrage - Petit guide du leadership provoc’acteur selon Jésus-Christ, éd. Favre, 2014 - , le formateur Maxime Morand donne une autre définition du pouvoir. Il rappelle que la racine du mot autorité est d’engendrer. «Faire devenir l’autre «auteur», (...) de son projet, de ses décisions, de sa vie», écrit-il. Cette approche permet de quitter la notion de domination et d’emprise pour aller vers le rayonnement personnel qui agit comme une libération de soi et des autres. Le pouvoir serait ainsi la capacité de donner naissance aux autres plutôt que de les diriger par la force et la domination.

Valeurs

Une autre cause du faible taux de femmes dans les postes à pouvoir est liée aux valeurs masculines et féminines qui sous-tendent leurs styles de management respectifs. Les valeurs masculines sont la force physique et matérielle, l’expansion et la conquête, l’agressivité et la compétitivité, l’autonomie et la rationalité. Alors que les valeurs féminines sont la force psychologique et la résistance, la priorité donnée à l’équilibre, la coopération et l’interdépendance, l’intuition et la subjectivité -Valeurs masculines et féminines tirées de Mike Burke et Pierre Sarda: émergence des valeurs féminines dans l’entreprise, éd. De Boeck, 2007, page 26 - . À noter qu’un homme peut très bien fonder son style de management sur des valeurs féminines et que certaines femmes sont aussi capables de force et de rationalité. Néanmoins, l’univers organisationnel, encore très hiérarchisé, convient mieux aux valeurs masculines du pouvoir.

Pistes

Identification

De nombreuses femmes renoncent à monter dans la hiérarchie puisqu’elles ne s’identifient pas aux pratiques managériales dominantes. À l’inverse, plus il y aura de femmes dans les postes à responsabilité, plus cet univers organisationnel va se modifier. Pour briser ce cercle vicieux, il est impératif d’avoir une vision positive du pouvoir. Diriger une entreprise ou une unité d’affaire permet de modifier une culture d’entreprise, d’influencer le choix des profils au moment des recrutements, mais aussi de façonner les produits et services qui sont la raison d’être de l’organisation.

Diversité

Le dirigeant devrait se poser la question suivante: «Comment puis-je intégrer dans mon fonctionnement et dans ma politique managériale des valeurs féminines pour que les femmes s’identifient mieux à l’organisation et à ses objectifs commerciaux?» Concrètement, il s’agira de co-construire une culture d’entreprise moins mono-culturelle et plus dans une diversité de valeurs. Elle sera moins hiérarchisée, moins axée sur la performance et tiendra mieux compte de la capacité à trouver des consensus et de l’harmonie. N’oublions pas que plus de 50% des consommateurs sont des consommatrices. L’économie a donc aussi grandement besoin de cette mixité dans les gouvernances et les cultures d’entreprise.

Recrutement

Cette modification de la culture et de l’ADN des organisations prendra du temps. La clé est d’y aller étape par étape. Une bonne manière d’emmancher ce processus est de travailler sur le descriptif des postes à responsabilité qui sont mis au concours. Par exemple, en modifiant les compétences requises pour les adapter à d’autres modèles de management. Il ne s’agit pas de féminiser simplement le titre de la fonction. Laisser des ouvertures à des styles différents. En substance, il faut clairement annoncer que l’organisation est à la recherche d’autres façons d’exercer le pouvoir et de conduire l’entreprise.

Féminité

Les femmes dans des positions d’encadrement masquent encore souvent leur féminité craignant de perdre leur crédibilité. Avoir du pouvoir et être crédible n’implique pas forcément de renoncer à toutes formes de séduction. Au contraire des hommes, les femmes disposent d’une grande liberté dans leur apparence. Jupes, tailleurs, couleurs, bijoux et maquillage font partie d’un large panel de choix. Inutile donc de se calquer sur les codes masculins. De plus, cette liberté de look donnera une image différente d’un poste de pouvoir.


Résumé du film


Rachel et Martin partagent un poste à responsabilités en Topsharing. Leur duo fonctionne parfaitement et les responsabilités sont concrètement interchangeables. Toutefois, l’équipe, pourtant féminine, ne semble pas voir les choses de la même façon.

Mot clé: pouvoir

Vient du latin potere, la faculté, la capacité, la possibilité matérielle ou la permission de faire quelque chose.

Et vous?

Quelle est la définition pour vous du pouvoir ?

Recevez-vous autant de candidatures féminines que masculines lorsque vous recrutez pour un poste de cadre? Si non pourquoi, à votre avis ?

Pensez-vous que les femmes dans votre société se mettent régulièrement en avant et parlent de leur ambition professionnelle ?

Quel est le pourcentage de femmes dans votre comité de direction/conseil d’administration ? Et aux différents niveaux de la hiérarchie ?